Quand nous avons loué notre splendide-demeure-dans-les-pins-à-loyer-super-raisonnable-que-tu-serais-vraiment-con-de-pas-sauter-sur-l'occasion-aussi-vivement-qu'un-poux-sur-la-tête-d'une-de-mes-cinquièmes et ainsi rejoint intrépidement ze ass of ze world, nous ignorions un aspect fondamental (mais implicite) du contrat : la location comprenait la propriétaire livrée en kit dans le package d'arrivée.
Annette, qu'elle s'appelle. Annette, c'est une femme du sud profond et mythique, au parler rocailleux et chantant (quelquefois postillonnant), à l'haleine aïolisée et à la répartie leste et cinglante ("Hé bé nigaude, tié pas bien finie parfois, hé ?"). C'est carrément elle qui a baptisé notre rue. Avant Annette, il s'agissait d'un pitoyable chemin se nommant la carriéras, mais elle l'a transformé en (roulement de tambours violents).... Le Pizou (beaucoup plus classieux, bien évidemment). Annette, elle habite juste à côté de chez nous et tu peux pas la louper, elle meugle, bêle, braille, beugle... Bref, c'est à elle seule un arc-en-ciel vocal animalier tout à fait impressionnant. Mais c'est une femme, une vraie : elle, elle les écrase de la pointe de son épée de sa chaussure, les chenilles processionnaires.
Annette a toujours une bonne raison pour venir chez nous : son chien qui pète un peu trop, ses oeufs en rab qu'elle veut nous refourguer, sa nouvelle couleur de cheveux (violette lavandée)... J'ai bien essayé de lui ouvrir en slip mais ça ne l'a pas refroidie. Elle revient, aussi inlassable que Freddy Kruger derrière une meute d'ados fatigués. Je ne sais pas si elle a un sixième sens , un don divin, mais elle vient toujours au mauvais moment. Exemple :
Mardi, mon intérieur est si nickel que Monsieur Propre en péterait une syncope de jalousie. Les deux coincées de C'est du propre en lâcheraient leurs plumeaux d'ébahissement : Un délicat fumet de javel se dégage du sol qui brille encore plus que la crinière des nanas Lowéal-pawce-que-je-le-vaux-bien. Les mouches ont été méthodiquement et froidement exterminées. La vaisselle ne branle pas dangereusement sur l'évier, la vieille tasse à café oubliée qui colle a été purgée. C'est si grisant d'évoluer dans cet univers aseptisé que je prends quelques photos de ce rêve bleu ( comme dirait Aladdin).
Puis, vient le mercredi et le jeudi... et le vendredi. Au cours de ces jours, un relâchement significatif s'opère (dû au travail, bien entendu): les cafés se remettent à traîner, la pâte à modeler d'ALT forme d'infâmes bouillies écrasées par nos pieds pressés, les assiettes sales s'emboîtent aussi naturellement que les lego et des miettes sautillent joyeusement sur le sol au milieu de bribes de sopalin sauvagement déchiré par ALT.
Bref, vendredi soir, c'est une véritable explosion Godzillesque, une tempête impétueuse de force 1000, pire qu'un raz-de-marée provoqué par Poséidon... Je chantonne la comptine qu'ALT se passe en boucle depuis un mois : "Il voguait de Brest à Frisco, sur les bords de la mer Indienne..." et tel un petit matelot courageux, je navigue entre les assiettes oubliées ou les vêtements abandonnés qui, fourbes icebergs, tentent de me faire glisser et trébucher.
- Marin ! Un moussaillon en danger, m'écrie-je soudain, apercevant ALT qui commence à engloutir lestement d'antiques miettes qu'elle ramasse au sol.
Après l'avoir sauvée, je m'assieds et me tortillone activement la mèche, ce qui me fait ressembler à Elvis (signe de réflexion intensive). Puis, je prends une décision inébranlable : même s'il faut m'armer d'une fourche pour déblayer les décombres, je vais ranger ce merdier. J'enfile ma tenue de combat : un vieux t-shirt Décathlon_à-fond-les-ballons et un caleçon de mon mec (devant, ça forme un peu une bosse au niveau de la quequette, étant donné qu'il s'agit d'un boxer, mais bon..) puis le grand ménage commence... Je fends l'air comme une gazelle et me démène telle une strip-teaseuse en début de soirée quand... TOC,TOC,TOC : Noooooooon.... Je me retourne et vois Annette, son nez rouge et violet pressé contre la porte vitrée, me faisant de grands signes enjoués. Penaude, je lui entrouvre la porte (hors de question qu'elle s'enfonce plus loin dans les marasmes insondables de mon salon) mais elle pousse fermement la porte de son bras frêle qui est en fait aussi puissant que le déo Rexonna. Je résiste tant bien que mal, m'arc-boutant de toutes mes forces à la façon de Robinson face à une tempête mais elle réussit à ouvrir en claironnant :
- Et bonjour, je viens vous amener la facture d'eau, maniaguette ! Je....
Mais là, coupure nette. Intenable arrêt sur image. Le chaos lui saute au visage comme un bouton d'adolescent qui explose. Un paysage dévasté s'étend à ses pieds. Je tente misérablement de justifier une telle infamie mais je ne peux que balbutier :
- Et oui... ALT a été gardée par son papa, voilà le résultat !" (rire jaune à l'appui).
Oui, je mens lâchement , oui, j'accuse l'homme de ma vie ( mais si à ce moment là, je devais le pousser d'une falaise pour sauver mon honneur, je n'hésiterais pas). Elle m'offre un sourire contraint en baissant les yeux... sur mon caleçon-à-renflement-comme-une-zezette me défigurant l'entre-jambe. Je la vois pâlir et je tente de rabattre mon t-shirt Décat sur l'objet de son attention. ALT détourne heureusement l'attention en s'étouffant, rapport à la chaussette (sale) qu'elle a voulu enfourner. Je me précipite en trébuchant sur les immondices mais elle lâche l'objet de sa convoitise. Elle regarde Annette avec un sourire resplendissant tout en repêchant une cracotte oubliée par terre et la boulotte aussi vite que Flash Gordon, maître de la vitesse de la lumière. Je prie la propriétaire de s'asseoir. Elle obtempère. Je lis la terreur d'un animal traqué dans son regard. Au moment où son vénérable fessier se pose sur ce qui est un canapé en dessous des couches de linge à plier, un COUIIIIIC retentissant résonne comme une arme à feu dans la pièce. Cauchemar ignoble, je vois ma propriétaire réprimer un hurlement de douleur. Les yeux larmoyants, elle déterre la toupie maline d'ALT de sous son son fessier amoché. C'en est trop. Le reste de la conversation file comme dans un rêve : "facture d'eau... calcul pour année incomplète...". Tout est flou dans mon cerveau embué par la gêne. Quand elle décide de repartir et qu'elle se fraye un chemin parmi les décombres, je tente vainement d'avoir l'air détaché en murmurant:
- Désolée pour cet accueil...
Mais elle secoue la main ( pour me dire "ce n'est pas grave"... ou pour me chasser telle une vilaine mouche à merde, je ne sais pas....)
Je suis mortifiée, ALT ricane d'aise.
Malgré l'intolérable déshonneur qui m'accable et pèse sur moi de toutes ses forces ténébreuses, je redresse les épaules et prépare ma revanche. Je suis comme le roseau qui ploie mais ne se rompt pas.
Be prepared, to be continued.